Une année à l'école St-Paul de Caen.
J'ai décidé de devenir enseignant, après une carrière dans le journalisme, le multimédia et l'informatique, parce que j'avais la passion de transmettre. Nous sommes tous passionnés par quelque chose, mais tout le monde n'a pas la patience et l'art de savoir transmettre ce qu'il aime. Cela demande de trouver des astuces pour lever les contre-sens et les ambiguïtés, le goût d'aider ceux qui pensent que « c'est trop compliqué » et le moyen de leur montrer que c'est d'abord dans leur propre tête que c'est « trop compliqué », afin qu'ils arrivent à clarifier leur pensée et reprendre confiance dans leur capacité à comprendre. La pédagogie est un art et il est difficile. Avec certains, il faut se montrer lent et doux, avec d'autres, il faut se montrer énergique et tranchant. Cela demande beaucoup d'énergie et nécessite de savoir s'adapter, cela n'est pas donné à tout le monde.
En 2020, j'avais donc fait des remplacements, passé mon concours, intégré et validé ma formation, puis rejoint une école... mais trop loin de chez moi. J'ai demandé ma mutation, et j'ai obtenu l'école la plus proche de chez moi : quelle joie de pouvoir s'y rendre en vélo au lieu de faire 45 minutes de voiture matin et soir ! L'école était d'ailleurs réputée pour son sérieux et le professionnalisme de ses enseignants, je me réjouissais d'intégrer cet établissement.
Cependant, ma joie fut de courte durée, après 5 semaines d'enseignement, on m'a foutu dehors. D'abord sous le conseil « bienveillant » de « prendre du repos », car il était vrai que nous avions eu une reprise difficile (sortie de confinement, port du masque obligatoire que je ne tolérais pas, et, me concernant : nouveau mode de fonctionnement dans une nouvelle école). Sauf que, j'ai compris rapidement que tout cela n'était qu'un prétexte pour monter un dossier à charge contre moi afin d'organiser définitivement mon éviction, non seulement de l'école St-Paul, mais également de l'Enseignement Catholique et de l’Éducation Nationale. J'ai donc passé le reste de l'année dans une angoisse indescriptible, empêché de travailler.
La question que l'on peut légitimement se poser alors est celle-ci : qu'avais-je donc pu faire de si effroyable en 5 semaines pour me retrouver avec : une inspection surprise, des plaintes envoyées au rectorat, de la part de certains parents, d'enseignants de l'école, de la directrice, et même de la Direction diocésaine ? Il semble, que d'une manière ou d'une autre, ma manière d'enseigner (ou peut-être simplement ma manière d'être) ait suscité des peurs irrationnelles chez certains. Pourtant, enseignant depuis 2012, jamais mon enseignement n'avait suscité de telles réactions. Me fallait-il me remettre en cause radicalement ou croire les parents des années précédentes, écrivant par dizaines au rectorat pour prendre ma défense et dire qu'ils étaient plus que satisfaits de mon travail auprès de leurs enfants ? Face à ces attaques violentes et infondées, j'ai douté de moi, j'ai chancelé, et ma famille en a beaucoup souffert. Puis, je me suis laissé le temps de la réflexion.
Et j'ai fini par comprendre qu'un certain milieu bourgeois citadin, faits de notables qui se croient tout permis, cherche à vivre de manière communautariste, refusant tout ce qui ne convient pas à leur culture et à leurs exigences, traînant dans la boue et les propos calomnieux et sans aucun élément factuel un professeur qu'ils ne connaissaient même pas. En 2020, le président de la République avait annoncé avoir le désir de lutter contre « les séparatismes », mais de ce séparatisme élitiste, qui en parle ?
Ma manière d'enseigner, désolé de vous décevoir, n'a rien d'exceptionnel selon moi. Je ne prétends à aucune méthode révolutionnaire, ni aucun enseignement spécialement innovant. Je m'en tiens juste à quelques grandes lignes de conduite.J'ai fait le choix de l'enseignement catholique volontairement. Parce que connaître Jésus-Christ est la chose la plus belle qui m'ait été transmise dans mon enfance, mon adolescence, puis dans ma vie d'adulte par bien des moyens différents.
Des générations d'éducateurs, de saints, de religieuses et de prêtres ont eu à cœur de baser leur manière d'enseigner en se référant clairement à la Bible et la foi de l’Église. Je n'entends pas faire autrement, car je n'entends pas réduire la haute valeur que je donne à l'enseignement. Je refuse le mouvement de nivellement par le bas que l'on constate partout : au niveau culturel, spirituel, éducationnel. Parents, éducateurs, enseignants, nous avons le devoir de faire cesser une culture de l'esprit victimaire pour faire de nos filles et nos garçons des hommes responsables, fiers d'eux-mêmes et prêts à affronter les adversités que l'avenir leur réserve.
Agent de l’État, j'enseigne en cohérence avec les programmes et les orientations ministérielles et je défends ma liberté pédagogique, car elle est la source d'un enseignement de qualité. Contraindre un professeur à enseigner d'une manière qu'il estime absurde et infondée ne produira que des enseignants aigris, surmenés et vivant dans la peur.
Cette peur, j'ai contemplé son visage dans toute son horreur dans l'expérience brutale que j'ai vécue à l'école Saint-Paul de Caen. Elle a mené certain à laisser croître un phénomène de cabale allant jusqu'au délire. Par toutes les ramifications de cette histoire non encore achevée, j'ai vu les dégâts de l'hypocrisie, de la lâcheté, de l'esprit de clan, du mensonge et du mépris. Les suites judiciaires en cours montreront peut-être l'ampleur des ravages causés par cet esprit de peur et de mépris qui infecte une grande partie de l'Enseignement Catholique local et probablement national, pour ne rien dire, pour le moment, du rôle ambigu de ma hiérarchie administrative, incapable de protéger l'un de ses agents par crainte du "trouble". Ce n'est pas pour rien que cette affaire a éclaté en plein milieu d'une explosion de peurs de tous ordres : maladies contagieuses nouvelles (COVID) ; révélations médiatiques de scandales de mœurs ; attentats terroristes islamistes (l'enseignant Samuel Paty a été décapité en pleine rue le 16 octobre 2020 quelques jours avant ma suspension administrative), j'en passe et des meilleurs. Chaque jour, nous sommes matraqués de menaces et de dangers du matin au soir... pouvons-nous offrir aux enfants autre chose que la projection constante de nos angoisses ?
De mon côté, les choses sont tranchées : après plusieurs mois d'enquête et une commission de cinq heures, le rectorat m'a rétabli pleinement dans mes fonctions d'enseignant, n'ayant pas pu établir la moindre faute professionnelle malgré les plaintes innombrables à mon encontre. Il y a donc bien eu manipulation : pour quoi et par qui ? Je laisse la justice répondre à ces questions.
Moi, je suis debout et je n'entends pas changer un iota à ma manière d'enseigner. Debout, certes, mais à quel prix ? J'en paie encore les conséquences morales aussi bien que financières. Mais, quoi qu'il arrive, j'ai fait le choix de ne pas céder aux menaces, aux intimidations, aux rumeurs ni aux pressions. Je suis un homme qui cherche à grandir en liberté et un enseignant qui désire faire grandir les enfants dans l'émerveillement, l'audace et le goût de la vie.
Si cela ne plaît pas, ayez au moins la bienséance de savoir le dire en face et avec respect. Je ne suis pas là pour chercher à plaire ni à faire de la figuration, la vie est bien plus attrayante lorsqu'elle sait se passer des apparences pour aller à la profondeur. Certes, cela demande d'avoir la volonté d'affronter nos propres peurs (individuelles et collectives) et de ne céder ni à l'ignorance ni au fatalisme. Que chacun face le choix qui lui correspond.
Le mien est fait.
Samuel Landon - 4 mai 2022