De la raison d'enseigner.

Enseigner, c'est semer. Enseigner, c'est transmettre une semence. Une semence, si l'on veut qu'elle pousse et se développe, n'est pas simplement donnée comme ça. C'est tout le rôle de l'enseignant que de préparer le terrain afin de lui permettre de se développer au mieux. Et... c'est tout le rôle de l'élève que d'accepter de préparer sa terre intérieure pour que la semence puisse prendre racine et se développer. L'enseignant donne les conditions de départ, l'élève se doit de veiller à la protection de la jeune pousse et de protéger son développement futur.

En début d'année, je demande toujours aux enfants ce qu'est une école et à quoi cela sert. Beaucoup disent « pour apprendre », d'autres disent « pour avoir un métier et gagner sa vie ». Alors, je donne aux élèves ce dicton latin : « NON SCHOLAE SED VITAE DISCIMUS ». Nous n'apprenons pas pour l'école, mais pour la vie. Le but de l'école n'est pas « d'avoir des bonnes notes », ni « de bien travailler », mais de former la personne humaine à mieux vivre. Et concrètement qu'est-ce que cela veut dire ?

L'enseignant est d'abord là pour aider l'élève à développer son autonomie et sa capacité à agir dans le monde. Cela passe par l'apprentissage de méthodes de travail, cela passe par la transmission de références culturelles communes, cela passe par l'enseignement d'une logique permettant le développement des capacités de réflexion.

Notre capacité à la réflexion est semblable au parcours d'une personne dans un labyrinthe. A chaque instant, notre esprit fait face à de multiples possibilités. Qu'est-ce qui va me permettre d'emprunter le bon chemin ? Le chemin qui me permettra d'aller dans la bonne direction, d'y voir plus clair, de mieux comprendre, de renforcer mes capacités cognitives ? Quels sont les éléments de choix qui me permettront de trancher ?

C'est tout cela que l'enseignant doit viser. Car le but fondamental, la cible à atteindre est d'abord la lutte contre la peur et l'ignorance. La peur m'empêche d'avancer. Elle m'enferme dans le repli ou l'agressivité. Elle me projette dans la méfiance incessante et le désir de me protéger. L'ignorance limite ma capacité à agir et fait de moi quelqu'un de grossier, de ridicule, d'inadapté. Nous en sommes tous là. Quel que soit notre âge, nous sommes tous bardés de peurs et couverts d'ignorance. Ce que l'enseignant dit, c'est que ce n'est pas une fatalité.

Dans les montagnes de l'Himalaya, le photographe Olivier Föllmi passe des années à découvrir la culture de la petite région du Zanskar. Il s'émerveille de ses habitants, de leur simplicité, de leur douceur, de leur accueil, de leurs rires, de leur fraternité, de leur acceptation de la dureté de la vie. Pourtant, il refuse de s'en contenter. Certes, ce peuple possède une sagesse que nous avons perdue, mais il fait face à des drames humains immenses : des femmes meurent en couche, des enfants meurent en bas âge, la médecine est très peu développée, la connaissance du monde extérieure est inexistante. Est-ce une fatalité ? Non, car l'éducation peut permettre de changer concrètement l'existence des uns et des autres. Au risque, certes, de détruire certaines traditions et de voir se perdre certaines cultures. Mais toute culture et toute tradition se doit de se ré-inventer constamment si elle veut rester vivante, c'est à dire : adaptée à son environnement. Sinon, tôt ou tard, elle finira par mourir.

La crise que nous traversons depuis mars 2020 est un révélateur de ce fléau que sont la peur et l'ignorance. Face à une menace nouvelle, qui peut nous dire comment agir ? Les épidémiologues les plus réputés s'affrontent devant les caméras et ne se mettent pas d'accord. Si les experts ne savent pas quoi faire, comment pourrions-nous savoir quels comportements adopter ?

C'est le rôle de l'éducation que de donner des clefs de réflexion, une capacité à l'analyse, à prendre du recul, à permettre le questionnement et la réflexion.

Dès lors, en tant qu'enseignant je prendre le pari de l'écoute, de l'intelligence, de l'action. J'enseigne à mes élèves de réfléchir avant d'agir, de comprendre ce qui est demandé, de prendre du recul sur ce qui est dit, et bien sûr de respecter les autres.

L'enseignant se doit de refuser le sentiment d'absurdité de la vie et le défaitisme. Les choses ne sont pas « ce qu'elles sont et puis c'est tout ». Elles évoluent et nous avons un rôle à jouer dans la manière dont elles évolueront.

Voulons-nous faire ce pas ?

Samuel Landon - 9 octobre 2020